Six jours et cinq nuits
Lundi 16 octobre :
Il est 8.00 et nous débarquons au port de Marseille, fatigués mais heureux de ce séjour en Corse et de retrouver nos pénates. Direction l’aire de Lançon de Provence pour dégourdir les pattes des chiens et prendre un petit déjeuner roboratif.
8.30, ma fille m’appelle : « Maman, j’ai fait une connerie ! ». C’est elle qui est en charge des animaux restés à la maison : un chat, 5 chiens, les poules et poussins, les canards et canetons… Elle est enceinte de 7 mois, elle n’a pas besoin de stresser, donc je relativise, ça ne peut pas être bien grave. Effectivement, pas de quoi fouetter le chat : elle a laissé I’sanni et Timirità ensemble quelques minutes et ils sont partis en balade dans les bois derrière. Mes chiens ne partent que très rarement. Timi, seule ne part jamais, mais accompagnée elle a entrainé plusieurs compagnons cette année. A chaque fois, ça ne dure que quelques heures, et retour au domicile. Donc ils vont revenir, on reste zen. Le point négatif, c’est le gibier. Je préviens les responsables de chasse alentour. Les chiens en vadrouille dérangent le gibier, ça ne plaît pas aux chasseurs et à moi non plus. J’espère que leur escapade ne durera pas longtemps… je suis tellement loin d’imaginer ce qui va se passer !
Tout le long de notre route du retour, on se tient au courant, rien n’évolue. Leur plus longue disparition était de 10.00, ils seront là en même temps que nous c’est sûr. Nous arrivons vers 19.30, pas de chiens. Occupée à gérer les autres, les bagages, le gamin, le repas, je suis tellement absorbée que le temps passe… et rien. Il est 23.00, nous sommes fatigués. Nous les appelons dans la nuit, sans succès. Je tire quelques coups de carabine sur cible, habituellement I’sanni revient en courant… pas cette fois. Nous décidons de nous coucher, un peu inquiets, le garage reste ouvert, deux chiens à la maison pour nous avertir dès leur retour. La fenêtre est ouverte aussi, 8 à 10 fois dans la nuit je me réveille pensant entendre I’sanni m’appeler. Je suis bien du pays de Jeanne d’Arc, en réalité j’hallucine !
Mardi 17 octobre :
5h00 du matin, je ne dors plus. Un petit tour dans les parages, il fait 0,8°C. Ils sont sûrement en boule à l’abri dans la grange. Désillusion ! Ok, alors je vais les chercher ce matin, ils sont forcément dans le bois, là, à quelques centaines de mètres. Il a dû se passer quelque chose. Je vais les appeler, ils me répondront, c’est simple. Je m’occupe en attendant le réveil de la maisonnée, je consulte Petalert aussi, sans conviction. La carte des recherches est établie : environ 300 hectares à couvrir, plus les parcelles agricoles. De l’eau, des barres énergétiques, deux chiens en appui, les chasseurs sont prévenus, c’est parti pour la rando.
L’un d’eux est la cabane de chasse, il n’a rien vu mais m’avertit que le président a changé. Celui que j’ai contacté hier n’est plus en poste et s’est bien gardé de me le dire. Contact avec le nouveau responsable : mes chiens étaient bien dans le bois, à 800 mètres de la maison lundi à midi. Je suis dans la bonne direction. Je continue ma marche, au total 8 km dans la matinée. Je crie, je siffle, je corne. Je fume aussi, beaucoup, trop. Le stress arrive doucement. Mais bon sang, pourquoi ne rentrent-ils pas ? Un Cursinu ne se perd pas dans ces conditions. Il est arrivé quelque chose de grave… Il faut poster des annonces sur les sites dédiés : Petalert, Filalapat et tous les autres Facebook associés. Peu de chances que cela soit utile, mais je m’en voudrais de ne pas essayer. Il faut aussi distribuer des flyers à toutes les personnes rencontrées. Je rentre prendre un encas, préparer les tracts, et refaire les réserves. Ma famille va me prêter main forte, des amis aussi. Ça va le faire!
14.00, une camarade m’envoie une carte, elle a localisé les chiens avec son pendule. Y croire, ne pas y croire ? Je fonce, pourquoi pas après tout, ça n’engage à rien de se concentrer sur cette zone, elle est juste après ce que j’ai fouillé ce matin. Ma voix commence à faiblir, mais je n’arrête qu’à la nuit tombante. Chou blanc ! Un rapide bilan avec les utilisateurs du massif permet de conclure qu’ils n’y sont probablement plus. On confirmera cette hypothèse après l’affût de ce soir. Ils vont passer une deuxième nuit dehors. Il va faire moins froid, il y a de l’eau partout, au pire ils trouveront un truc à grignoter. Je ne dois pas me laisser submerger par l’inquiétude. Et puis ils vont peut-être rentrer cette nuit ? Au cas où, j’organise mes recherches pour demain : je reporte le rendez-vous médical du matin à vendredi (ils seront à la maison vendredi, aucun doute !) et Tata gèrera la piscine du gamin l’après-midi. Au total, j’ai parcouru 15 kilomètres à pied et au moins le double en voiture. Je vais me poser pour récupérer un peu. C’est à partir de maintenant que mon cauchemar commence. Jusqu’à présent le moral tenait bon, mais là, il vacille. Mes nuits habituellement calmes et très reposantes, s’annoncent dorénavant en pointillés. Le sommeil? Léger. Ça ne sera pas la grande forme au lever. I’Sanni mon ami, revient. Je crois que je ne saurai pas faire sans toi, c’est trop tôt. Je pleure…
Mercredi 18 octobre
Réveil toutes les heures jusque 5h00, impossible de retrouver le sommeil. Mes yeux piquent, ils sont secs et rouges. J’ai sans doute pleuré en dormant vu l’état de mon nez et de ma tête. Un doliprane, un petit tour de maison mais je n’y crois plus, j’ai malheureusement raison. Avec une boule au ventre et un nœud dans la gorge, j’établis une nouvelle carte de recherches. Ils n’ont pas passé les départementales, je n’y crois pas. Donc on étend encore la zone à couvrir en restant entre ces deux routes : 3000 hectares, boisés pour moitié. C’est chercher une aiguille dans une meule de foin ! Mais l’aiguille a une clochette, quelqu’un finira bien par l’entendre, non ?
Je m’occupe des autres chiens, j’avoue que je n’ai pas trop de cœur à l’ouvrage. Il faudrait que je passe l’aspirateur au chenil, ça attendra. Je les regarde mes amours, ils sont ici avec moi, mais je ne les vois pas. Mes pensées vont aux deux fugueurs, à I’sanni surtout. 10 ans de vie commune, ça compte. Je le vois partout, sa silhouette est omniprésente dans mes pensées, ses yeux qui comprennent tout, sa démarche élégante…
Le petit déj est maussade, difficile d’avaler quelque chose, mais je me force pour tenir le coup. C’est reparti pour la marche : quelques dizaines de mètres en appelant, un arrêt pour écouter, quelques dizaines de mètres en appelant, arrêt pour écouter… Régulièrement un pause clope, un peu d’eau et j’y retourne. En fin de matinée, 10 km ont été parcourus. La voiture s’impose pour la suite, sur le même mode : on roule un peu en appelant, on s’arrête pour écouter et on recommence. Le chemin devient boueux, rien à craindre c’est un 4×4. J’avance doucement, tente d’éviter l’ornière, finalement la roue glisse… et me voilà clouée au beau milieu de la forêt ! J’enclenche les quatre roues motrices, rien ne bouge. C’est la goutte d’eau en trop. Je m’éjecte, tombe durement au sol en hurlant toute ma peine et ma douleur. Il faut que ça sorte et tout sort… même le petit déj ! Finalement, en enclenchant les crabots et le différentiel, je sors du bourbier. Une petite victoire, mais la rage est toujours là. Marche arrière, accélération, et bing dans un arbre. Aïe le pare-choc a plié. Il va falloir se calmer Rachel. Appels aux responsables de chasses au-delà de ceux déjà avertis, à la gendarmerie, à la FDC88. Il y a une communicante animale aussi, elle va faire le nécessaire. Ce n’est pas une science exacte, mais je vendrais mon âme au diable s’il le fallait.
J’arpente, tu arpentes, nous arpentons, et la nuit finit par approcher. Il faut rentrer, sans eux. Une douche, manger un truc, heureusement mon mari gère le quotidien. Il propose un film pour me changer les idées. 21.50, une carte et un mot de la communicante : ils sont coincés dans un trou. Ça expliquerait pourquoi ils ne reviennent pas! L’espoir est de retour, c’est bête, ça ne repose sur rien de concret. Il pleut à seaux mais il faut essayer. Tenues chaudes et imperméables, lampes torches, cordes et deux chiens. La patrouille est repartie pour 2h30. Au final c’est encore une journée à 15 km de marche, le double en voiture, sans aucun résultat. Retour à la maison à 1h00, le sommeil me fuit jusque 3h00 du matin. Ils sont sous la pluie, il fait froid, ils ont faim, peut-être mal… sont-ils vivants ???
Jeudi 19 octobre
Ça devient un rituel, réveil à 5h00. Il faut que je dorme un peu plus si je veux tenir. Mais non, mon cerveau s’enfonce dans un maelström d’idées noires, c’est un cercle vicieux qu’il faut enrailler. Je prends mon livre pour y mettre un terme, temporairement. Et puis les cours du gamin reprennent aujourd’hui. L’école à la maison c’est chouette, ça prend beaucoup de temps et d’énergie.
7h15, je monte péniblement la côte pour atteindre le chenil, vidée de toute énergie. Je pleure à chaque pas, je m’effondre une fois arrivée. L’aide dans les recherches ne manque pas : la famille, les copines de la musique, les chasseurs, tellement d’autres… Tous les réseaux sont activés, entre autres Maelis, l’application des communes. Cependant dans ma tête je suis seule. Et je dois sortir de ce cauchemar pour être efficace. Je fais appel à mon éducateur canin, toujours très zen, plein de ressources, et expert en énergie corporelle. « Rien n’est perdu Rachel, un chien en forêt peut vivre longtemps et jeûner jusqu’à 21 jours. Ils ont de l’eau, on va les retrouver ». Par son intermédiaire, une communicante animale confirme qu’ils sont vivants, et proches d’une grande bâtisse blanche, ancienne, devant laquelle il y a un berger allemand. Beaucoup partent à la recherche de ce point « remarquable ». Des maisons blanches isolées en forêt… ben il y en a une pelletée ! Une retient particulièrement l’attention. Un chien aboie à l’intérieur, impossible d’en connaître la race. Personne ne répond aux appels. On laisse un flyer. Pas loin le gîte des ruisseaux. Un monsieur très gentil, il prend l’info et promet d’appeler s’il voit quelque chose. C’est dingue comme les gens sont gentils lorsqu’il s’agit de sauver un chien. Prenons ce très vieux monsieur par exemple, qui promenait à la vitesse d’un escargot un corniaud du même âge ! Il est sourd comme un pot et je dois m’y reprendre à cinq fois pour lui faire comprendre de quoi il retourne. Il finit par prendre une pile de flyers pour distribuer à ses voisins. Je ne pourrai pas tous les remercier, je ne les connais pas. Ils ne sauront jamais à quel point ils m’aident. À chaque arrêt, les piétons, les cyclistes, les automobilistes, les agriculteurs, tous sont à l’écoute, fouillent dans leurs mémoires, vont en parler autour d’eux. Un énorme élan de solidarité pour I’sanni et Timi. Pourtant ils ne les connaissent pas. Mais ils s’engagent tous, font circuler l’information. J’ai des appels lointains : on a retrouvé un chien ce n’est pas le vôtre ? Je vous envoie la photo ! Cette aventure, quoi qu’il advienne, me réconciliera un peu avec l’humain…
Toute la matinée, le rôle de professeur des écoles m’occupe vaguement l’esprit. Orthographe : un chien, une chienne, des chiens, des chiots… Conjugaison : Je promène mon chien, tu promènes… Mathématiques : Si ma chienne donne naissance à 6 chiots et que chacun d’eux coûte… Un effort, prends d’autres exemples et fais bonne figure devant ton fils, il faut l’épargner. C’est long 4 heures. Midi trente, maman rentre de patrouille et prend le relai, me voilà libre. Je vais sortir des sentiers battus, peut-être ont-ils passé les départementales finalement? Direction l’ouest, le canal… non ils ne l’ont pas franchi c’est sûr. Bon j’y vais quand même, je ferai le tour et reviendrai par le sud. Une dame se promène, non je ne l’embête pas c’est trop loin… Et puis si : « Pardon madame, je cherche mes deux chiens échappés lundi …» « Vous n’êtes pas allée chez untel ? Sa voisine disait mardi soir qu’elle en avait vu deux ». Mon cœur fait un bond, mardi soir, deux jours. Effectivement deux chiens ont été vus vers midi à 2km de chez moi, dans le secteur de recherche. Mais était-ce eux ? En tout cas ça correspond exactement à la localisation donnée par le pendule au même moment… bizarre !
Mon esprit part dans tous les sens, mais l’espoir est de retour, on va les retrouver. Il faut continuer dans cette zone, y distribuer des flyers, les appeler, ils sont là. Mais pour aujourd’hui c’est fini, la nuit est tombée. Invitation au restaurant ce soir. Je profite du regain d’espoir pour manger correctement. Mon corps en a plus que besoin. Dans la cour du resto un tout petit chat semble perdu. Il est si ridiculement petit, il m’attendrit. Je le câline alors qu’il veut s’échapper. La route est très proche, mais « il a l’habitude » m’assure le serveur. Demain ce seront eux que je cajolerai, et ils ne s’échapperont plus…
Vendredi 20 octobre
Belote et rebelote… Réveil à 5h00, 4h00 de sommeil cette fois, pas si mal. Soins des animaux à 7h15, petit déj, école à la maison. Le moral est bon, c’est pour aujourd’hui ! 9.15, je demande à ma camarade d’utiliser son pendule à nouveau. Elle les situe à proximité du gîte des ruisseaux. On y concentrera les recherches.
À midi un rapide sandwich et c’est parti. En voiture, le gamin est une seconde paire d’yeux appréciable, il est très appliqué. Soulagé d’être actif aussi. Message de la communicante animale : ils viennent de passer un tunnel puis un grand pont. Mes parents partent au sud, il y a le pont Napoléon et non loin de lui, un tunnel. Ils permettent de passer en-dessous puis au-dessus de la voie de chemin de fer. Leur voiture en croise une autre, la conductrice ne serre pas sa droite… un retro en moins pour eux, pas grand-chose pour elle. Les carrossiers doivent se frotter les mains lorsqu’un chien disparaît…
De mon côté je contacte les chasseurs : ont-ils connaissance d’un lieu rassemblant grand pont et tunnel dans la forêt ? Ils vont me prendre pour une folle, c’est officiel !!! Seuls les anciens forts peuvent correspondre, j’irai mais après le rendez-vous médical du petit dernier.
« Toutes nos excuses pour nos tenues terreuses, nous cherchons deux chiens… et je m’effondre de nouveau » L’interne accolée au médecin compatit, lui reste de marbre. Il côtoie la maladie et la mort au quotidien, alors mes deux chiens… Et puis il me connait, pas mon genre cette attitude, je vais me relever ! Après cette consultation, un appel qui me touche. En substance, il faut garder le moral, un cursinu ne disparaît pas aussi facilement, encore moins deux. Ils seront retrouvés vivants ou morts mais je saurai. Je les préfère vivants, cela va de soi. Mais je ne peux m’empêcher d’imaginer les corps décomposés, les colliers encore autour de leurs cous ou ce qu’il en reste. Je me vois récolter les ossements pour les enterrer dans le verger, à côté de ma Lili d’amour. Stop ! Marche arrière, ils sont vivants.
Direction les anciens forts, les puits sont tous comblés aucun risque de chute. Je franchis sans encombre les ronces alentour. Pour mon fils c’est moins simple : « Maman, attends-moi ! ». Une pause téléphone s’impose: les réseaux sociaux, les messages. L’entraide et le soutien moral continuent : « Des nouvelles ? » « Où peut-on patrouiller ? » « Je ne peux pas marcher, je peux faire autre chose ? » « C’est la chasse demain et dimanche, avec les battues on va les trouver »
Le temps passe, les kilomètres aussi, et je reste bredouille. Le vide et le froid reprennent leurs droits dans mon corps et ma tête va exploser sous le poids des hypothèses. Je suis lessivée aussi. Seul point positif ; mon post du jour atteint 10 000 vues et près de 150 partages. Avec les re-partages, ça en fait du monde. La solidarité continue. Message d’une amie : vous venez manger la soupe ce soir ? Il faut que je me change les idées, alors ok. Un accueil chaleureux, des bras qui me soutiennent, moi qui ne suis pas tactile pour deux sous, j’apprécie le moment à sa juste valeur. Et puis on parle des chiens. Qu’est-ce que je dois être pénible à n’avoir que ce sujet à la bouche. Toutefois personne ne dit rien, au contraire on m’écoute, on échafaude de nouvelles stratégies. Mes rares amis seront précieux, lorsque j’ouvrirai enfin les yeux et comprendrai qu’I’sanni est parti pour toujours…
Samedi 21 octobre
J’ai du mal à émerger, cette fois la lecture m’a permis de replonger après le réveil très matinale. Quel jour sommes-nous ? Samedi, pas d’école. J’ai un truc à faire aujourd’hui… ah oui chercher les chiens. Je crois que je perds les pédales, il va falloir retrouver la raison Rachel. C’est un leitmotiv de chaque instant depuis trois jours, mon cerveau le comprend lorsque mon cœur le rejette. Ma fille et mon gendre vont patrouiller toute la journée. Il travaillait cette semaine, il veut participer ce week-end. Elle est venue très régulièrement, elle se sent tellement responsable. Mais ils auraient pu m’échapper aussi, elle ne doit pas s’en vouloir. Elle porte la vie, dans deux mois elle sera maman et moi grand-mère. Alors aujourd’hui on est raisonnables.
À midi nouveau message de la communicante : impossible de contacter I’sanni, il est trop faible ou pire. De son côté, Timi est affolée. Comme souvent, aucun point de repère physique ou géographique. Au fond de moi, depuis hier soir, je sens I’sanni s’éloigner. Il faut se dépêcher. En parallèle, le pendule les situe toujours du côté du gîte des ruisseaux, à peine plus loin. C’est à 6,5km de chez nous. Je croise ma fille en voiture, elle a beaucoup trop marché ce matin, elle est fatiguée. Son chéri continue à pied. Je pars en balade sans objectif avec Machja et Zighina, pour faire le point seule. Un peu d’oxygène, beaucoup de nicotine. J’entends un aboiement au loin. Espoir-désespoir, je m’approche, franchissant ronces, arbres tombés, ruisseaux et tourbières. Je chute, je fatigue, je ne peux plus crier. Naturellement ce ne sont pas eux. Il faut mettre un terme à tout ça.
À quatre heures, c’est à nouveau ma fille sur une route forestière. Elle est au volant, en pleurs. « Ok ma chérie, on arrête les recherches, on n’est plus efficaces. On attend le coup de fil providentiel, il n’y a plus que cette solution. Tu récupères ton homme et vous rentrez. Je fais la même chose de mon côté ». Une fois chez moi je tente d’appeler maman. Objectif : récupérer mon fils et passer du temps avec lui. Faire autre chose.
17h05, nouvel appel : « Maman ? En rentrant, j’ai croisé un monsieur et lui ai demandé s’il avait vu deux chiens. À l’instant m’a-t-il répondu, un petit et un grand. J’ai peur que ce soit une fausse joie… qu’est-ce qu’on fait ? » « Envoie ta position, j’arrive ». Elle se rapproche d’une ferme, il y a deux chiens, mais pas les miens. Le promeneur se serait-il trompé ? Direction le gîte des ruisseaux pour confirmer. De mon côté, avec l’émotion j’ai du mal à trouver, pourtant j’y suis passée souvent ces derniers jours ! Sur place je me gare à côté d’eux.
17h25 « Voilà les dernières infos, me dit mon gendre, ils n’ont rien vu au gîte, mais un client qui se balade avec son chien a entendu une clochette ce matin ». On s’enfonce rapidement dans le bois sur le premier chemin. Ma fille nous devance de plusieurs dizaines de mètres. On court, on appelle, mon taux d’adrénaline explose.
17h30 les minutes durent des heures et soudain « Maman, maman, j’entends une clochette ! ». Je les appelle encore, je hurle et pleure à la fois : « I’sanni !!!». Et puis c’est enfin la délivrance : « Maman, je vois Timi, c’est elle, elle arrive, c’est Timi ! ». peu après, la petite nénette vient vers moi, mais je crie tellement fort pour trouver I’sanni qu’elle a peur. Elle est déboussolée et moi je ne sais plus vraiment ce que je fais ou dis. Assez vite néanmoins, je lui passe une laisse « te voilà en sécurité ma belle ». Et I’sanni, où es-tu mon ami ? Quelques minutes et « Maman, regarde, c’est I’sanni ! » C’est un tourbillon d’émotions, pas sure que mon cœur y survive. Mes yeux sont tellement humides ça m’aveugle. « Où est-il ? Je ne le vois pas ! Tu es sure ? » Je tourne sur moi-même, sans distinguer quoique ce soit, perdue. « Si, là, regarde, il a du mal à marcher mais il arrive ». Oh dites-moi que ce n’est pas un rêve… je le vois enfin. Après avoir confié Timi, je le rejoins sans aucune coordination de mes membres, je m’en fous, et je l’enlace. Il se pose très vite mais n’ose pas me regarder. Il a un peu maigri, ses pattes sont bouillantes et ses coussinets…
Épilogue
Timi est tellement maigre, on voit ses côtes, son bassin, c’est douloureux pour moi. Mon petit zébulon bondissant est calme et attentif. Elle a beaucoup de tiques, j’ai donné le dernier cachet fin août, c’est donc normal. Elle est placée dans la caisse avec Zighina sans encombre. I’sanni rejoint difficilement le 4×4. Il ne peut évidemment faire l’effort de monter. Mais il pose sa tête à l’intérieur, pas question de rester là semble-t-il me dire ! Je l’aide avec beaucoup de délicatesse, il se roule en boule sur la tapis de sol, nous soupirons tous les deux en chœur. Un gros câlin avec mes enfants avant de partir. « On va paisiblement dormir cette nuit ! ».
Après un rapide bilan véto, on décide de limiter les émotions et retour maison direct. Les croquettes sont très attendues, mais il faut rationner. Pas question de donner trop pour provoquer des vomissements. Je vois bien qu’ils veulent plus, il va falloir être patients mes loulous. J’ajoute un antiparasite externes et internes à la ration. I’sanni mange couché, je lui administre un anti-inflammatoire et un antibiotique. 4 coussinets scalpés et un cinquième écorché pour moitié. Une plaie conséquente sur chaque métacarpe également. Une désinfection mais monsieur a trop mal. Il n’est pas d’accord. On va oublier le miel et les chaussettes qui feraient pourtant des miracles.
Dès le lendemain, je pose ma nouvelle balise GPS, gagnée à la nationale d’élevage, sur le collier de la demoiselle : tu ne m’auras plus poulette ! Pour l’instant, elle ne me quitte pas d’une semelle et aux aguets si elle ne peut me suivre là où je vais. Mais combien de temps cela va-t-il durer ?
Petit à petit, Timi se remplume et I’sanni affermit sa marche. Les plaies cicatrisent doucement qu’elles soient physiques ou psychiques et ce quotidien parfois si ordinaire devient allégresse.
Je voudrais souligner plusieurs points à la relecture de mon récit :
– J’ai conscience d’avoir un attachement plus important envers I’sanni que Timi. L’âge sans doute, mais aussi parce qu’il est mon premier cursinu. Au fond, j’ai toujours été convaincue que Timirità avait de meilleures chances que lui de s’en sortir. Il ne se serait pas approché volontairement des humains, quitte à mourir au milieu des bois. Elle est restée fidèlement à ses côtés, mais seule elle serait sortie de la forêt je crois.
– La communicante animale ne permet pas de localiser celui-ci, mais simplement de voir ce qu’il voit au moment de la « connexion ». Puisqu’ils étaient en milieu forestier, les points de repère « remarquables » étaient très rares. Dans notre cas l’efficacité a donc été toute relative pour ces raisons. Néanmoins, moi qui suis hyper cartésienne, j’ai eu des preuves concrètes et irréfutables que cette méthode est performante.
– Revenons sur le pendule aussi. Ma nature ne m’aurait pas conduite à demander son intervention. Mais force est de constater que mardi le pendule plaçait I’sanni et Timi là où deux chiens ont été vus et surtout qu’on les a retrouvés là où le pendule les situait depuis deux jours. Nous avons axé nos recherches en fonction du pendule. Il est probable que les chiens nous aient entendus dès le vendredi matin. Mon mari a une voix qui porte et il ne s’est pas économisé. Mais la marche d’I’Sanni était tellement difficile qu’il n’a pas pu rejoindre l’appelant suffisamment rapidement. Ils sont cependant restés dans ce petit secteur, ce qui a permis de les trouver.
Voilà, c’est la fin de cette histoire, j’ai déjà beaucoup dit merci et je ne vais pas refaire la liste. Je me contente de vous dire que je dois beaucoup au pendule et à celle qui le tient, et à ma famille. Cette expérience traumatisante a été riche d’enseignements pour moi, ne dit-on pas qu’à quelque chose malheur est bon ?
Nous sommes le dimanche 29 octobre, I’sanni et Timirità vont bien, je vais bien… Fin